GRAND-MÈRE

Ma mère a réussi à me convaincre que ma grand-mère faisait uniquement semblant de m'aimer; que seul mon frère importait à ses yeux. Que je n'aurais pas pu m’en rendre compte, parce que Grand-Mère veillait à dissimuler son désintérêt, se forçant à me sourire, m'offrant un cadeau pour mon anniversaire. Mais que je ne m'y fie pas: elle n'en avait rien à faire de moi.

Je l'ai crue.

Bien des années plus tard, en feuilletant de vieux albums, j’ai découvert une photo sur laquelle nous faisions du bricolage Grand-Mère et moi  juste elle et moi. Au dos, mon aïeule avait inscrit: «N'est-ce pas charmant?». En lisant ces mots, j'ai saisi, en tous cas j'ai décidé, qu'elle m'appréciait vraiment.

Plus tard encore, lors d’un travail thérapeutique, je me suis rappelé quelque chose. Je gratouillais tout doucement sa nuque, comme mon grand-père faisait de son vivant. Elle me l’avait une fois proposé, et c’était devenu une petite connivence entre nous. Un jour, en privé, ma mère m’a reproché ce geste: c’était sexuel, dégoûtant, une manie de vieille dame, et je ne devais jamais recommencer. J'ai ressenti de la honte de l'avoir fait; de la honte, aussi, de ne pas avoir repéré la nature sexuelle, dégoûtante, de l'acte.

Là, déterrant ce souvenir enfoui, j’ai réalisé que non, cela n'avait rien de déplacé; d’ailleurs, cela se produisait parfois au restaurant. Quel adorable tableau, une fillette qui chatouille sa grand-mère dans la nuque...

Ce souvenir m'a apporté autre chose de précieux. Grand-Mère ne pouvait pas me trouver totalement répugnante, puisqu'elle acceptait que je pose mes doigts sur elle.

Comment expulser cette fureur qui s'empare de moi en pensant aux manipulations maternelles?


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