Début vingtaine, j’émigre.
Avant mon départ, je coupais mes ongles très court, comme ma mère. Désormais, la ligne blanche à leur extrémité compte deux à trois millimètres, un beau petit arrondi soigné, et je porte un vernis transparent. Lors de mon premier séjour de retour au pays, elle remarque la différence.
Fille, s'excuse. Euh, oui, mais juste un peu...
Lors de ce séjour, elle accepte de me prêter un chemisier, chose rarissime entre nous: elle n'est pas prêteuse, et je n'apprécie pas son style, des vêtements que je qualifierais de lourds, excessivement classiques. Mais ce chemisier-là, blanc et souple, il est superbe. Malgré qu'elle le possède depuis un certain temps, elle ne l'a encore jamais porté.
La veille de mon retour, elle vide un verre d'eau dans ma valise achevée. Acte bizarroïde, pas grave… juste étrange. Ensuite, elle pique une telle crise que mon père me dit d'une voix faible: «Ma chérie, il va falloir que tu ailles dormir ailleurs ce soir». Euh, qui... moi? je n'ai rien fait de mal... il est 22h, je prends l'avion demain matin... Où aller à cette heure-ci?
Finalement, accalmie suffisante pour rester sous le même toit. Je décide de garder le chemisier: zut, quoi. Je ne la reverrai peut-être jamais, et ce vêtement prend la forme d'une compensation dérisoire pour tout ce qu'elle m'a fait subir.
Quelques semaines plus tard, c'est Noël. Je n’ai plus eu aucun contact avec ma mère depuis le voyage. Mon père téléphone. On discute un peu, après quoi, d'une drôle de petite voix, il annonce: «Il y a quelqu'un à côté de moi qui aimerait te parler, pour Noël...».