Pendant les vacances, nous partons parfois pour la journée, et il arrive qu’elle préfère rester à la maison. Une banale excursion prend des allures de parc d'attractions : exit le quotidien, on s'amuse. Mais de temps à autre les plans tombent à l'eau, et nous rentrons dans le courant de la matinée. C'était avant que les téléphones cellulaires se popularisent.
"Aaah, j'ai eu tellement peur quand j'ai entendu tourner la clé, j'ai cru que l'un de vous était mort, ça va pas, ÇA VA PAS??? Vous êtes fous, vous êtes fous!!! Vous voulez ma mort, vous allez m’achever, c’est fait exprès, exprèèès…"
Après plusieurs épisodes de ce type, mon père finit par abdiquer: plutôt que de rentrer, on change de projet, et tant pis si nous allons au musée habillés pour une randonnée.
Mais avant cela, il imagine de sonner à la porte et de chanter lorsque ma mère répondra. Un air avec des paroles du genre de «Tout va bien, on est là, nous trois, en bonne santé». En canon. On répète, on se prépare: forcer le ton joyeux, pas montrer sa peur, convaincre, à la manière de ces enfants qui jouent de la guitare sur YouTube avec des instruments plus grands qu'eux et une expression figée sur leurs traits tirés, comme si on leur pointait un revolver depuis les coulisses.
La chanson est mal accueillie.
Ce que je trouve dégradant dans cette affaire, c’est d’avoir été contraints par nos deux parents à fonctionner de façon biscornue, embrouillée, aux antipodes de la simplicité, de l’authenticité.
À entrer dans une sorte de folie.